Tair Salakhov

Une figure humaine solitaire et fragile entourée d’imposantes tours s’élevant vers le ciel. C’est ainsi que Taïr Salakhov (1928-2021) voyait Chicago dans les années 1960. L’œuvre figurant sur l’une des étiquettes de Château La Grâce Dieu des Prieurs, Saint-Émilion Grand Cru 2018 by Art Russe a probablement été créée à la suite du voyage de l’artiste en Amérique dans le cadre d’un vaste programme d’échange entre l’URSS et les États-Unis, lancé en 1958.

Fils d’un responsable du parti soviétique exécuté en 1938, au cours de sa longue vie créative, Salakhov s’est vu attribuer tous les titres imaginables en Union soviétique et au-delà : académicien de l’Académie des arts de l’URSS, Héros du travail socialiste, Artiste du peuple de l’URSS, lauréat des prix d’État de la RSS d’Azerbaïdjan, de la Fédération de Russie et de l’Union soviétique, Vice-président de la Fédération internationale des artistes (FIA), Président honoraire de l’Association internationale des arts plastiques de l’UNESCO, Membre honoraire de l’Académie européenne des arts et des associations professionnels des arts d’Autriche, d’Azerbaïdjan, d’Allemagne de l’Est, d’Espagne, des États-Unis et de France. Maître remarquable, l’un des artistes les plus célèbres de la période du « dégel » en URSS et chef de file du courant du « style austère », Salakhov a laissé un héritage artistique colossal et varié : des portraits de ses contemporains (dont des portraits désormais canoniques de Dmitri Chostakovitch, Kara Karajev, Rasoul Gamzatov, Mstislav Rostropovitch et Robert Rauschenberg), paysages et natures mortes, dont beaucoup font désormais partie de collections muséales et privées du monde entier. Ses portraits officiels du secrétaire général du Comité central du PCUS, Leonid Brejnev, et du chef de l’Azerbaïdjan soviétique Heidar Alijev sont devenus de véritables documents de l’époque.

La géométrie laconique brutale et les couleurs froides des gratte-ciels de « Chicago » (1964, huile sur toile, 120×100) évoquent l’imagerie Art déco et les œuvres d’art des membres du Bauhaus et De Stijl. La compréhension du travail des artistes étrangers contemporains a trouvé son reflet non seulement dans les œuvres de Salakhov – grâce à ses efforts, des expositions d’artistes contemporains emblématiques tels que Gunther Uecker, Robert Rauschenberg, Jean Tinguely, George Morandi, Gilbert et George et d’autres ont eu lieu à Moscou pour la première fois. En langage d’aujourd’hui, il était un excellent lobbyiste et directeur artistique : selon les souvenirs de ses contemporains, c’est Salakhov qui, à la suite de la controversée Exposition Bulldozer, a réussi à obtenir de la direction du parti de l’URSS un financement pour le développement l’art de la jeunesse, ainsi que la création de la section jeunesse au sein de l’Union des artistes de l’URSS (qui, sans exagération, a sauvé de nombreux artistes de poursuites pénales pour parasitisme).