Aristarkh Lentoulov

Aristarkh Lentoulov (1882-1943) allait devenir prêtre comme son père. Mais le désir irrésistible du garçon de peindre (ce qui était à peu près tout ce qu’il faisait pendant ses cours à l’école de théologie) a conduit sa mère à la décision de le faire transférer à l’École des arts de Penza. En 1906, l’Académie des Arts de Saint-Pétersbourg rejette la demande d’inscription de Lentoulov : les ombres vertes de son portrait de modèle s’avèrent trop radicales pour les examinateurs. Lentoulov rejoint alors l’atelier d’art d’un des professeurs de l’Académie, Dmitri Kardovski, participe à des expositions, et bientôt le célèbre critique, peintre et membre du mouvement ‘Le Monde de l’art’, Alexandre Benois, écrira ceci à propos de ses œuvres : ‘Ses peintures chantent et réjouissent l’âme … Son talent distinct et joyeux doit être apprécié et chéri’.

En 1910, Lentoulov fait partie des organisateurs de l’exposition ‘Le Valet de carreau’. Le titre est à la fois évocateur et provocateur : ‘l’as de carreau’ sert à décrire le losange en textile multicolore collé sur le dos de détenus, tandis que ‘le valet’ évoque une bande d’escrocs moscovites qui se sont façonnés d’après les protagonistes du roman de Ponson du Terrail, ‘Le Club des valets de cœur’. Mais ce n’est pas seulement le titre qui va choquer les visiteurs : les exposants, parmi eux Mikhail Larionov, Pyotr Konchalovski, Alexandre Kouprine et Natalia Goncharova, ne se limitent aux canons de l’art réaliste et expérimentent audacieusement avec la composition, la couleur, la forme et la perspective.

Après ses études en France, Lentoulov retourne en Russie et s’engage activement dans le mouvement artistique ‘Le Valet de carreau’, qui deviendra l’un des phénomènes les plus significatifs de l’art russe du XXe siècle. Il recherche constamment de nouvelles approches créatives, étudie l’art russe ancien, les icônes, l’architecture d’églises et le folklore.

En 1918, alors qu’il est peintre décorateur de théâtre, Lentoulov est chargé par le gouvernement de décorer la Place du théâtre et les rues de Moscou pour l’anniversaire de la Révolution d’Octobre. Dans les années 1930, il parcourt l’Union soviétique, et le thème de l’architecture industrielle prend de l’ampleur dans son art. Progressivement, Lentoulov entreprend de ‘décubiser’ les formes dans ses œuvres, expérimentant cette fois-ci avec le réalisme. L’une des étiquettes de Château La Grâce Dieu Des Prieurs, Saint-Émilion Grand Cru, Collection Art Russe 2018 est décorée d’une reproduction d’un de ses tableaux de cette période, ‘Au Stand de légumes’ (1932, huile sur toile, 120×180), faisant partie de la collection de la Fondation Art Russe. C’est une œuvre d’un maitre accompli. Et bien qu’elle soit absolument réaliste, les figures et les visages des clientes élégantes et de la vendeuse au chapeau extravagant sont toujours ‘sculptés’ avec des ombres de couleurs vives, tandis que les légumes et les fruits bariolés remplissant le stand forment un motif rappelant les expérimentations audacieuses de l’artiste avec le futurisme et le cubisme.